L'art d'une rencontre.

Le soleil lui tourne le dos. Il fait relativement chaud pour la saison. En face de lui, sur une table habilement drapée de soie, se dresse une tasse quelconque d’où s’échappe une odeur agréable : celle d’un café plutôt rare. Du moins, c’est ce qu’ose prétendre le patron depuis plusieurs années. Nul ne lui tiendra rigueur des nombreuses irruptions d’un vendeur de café qui lui offre sans rechigner un café de moindre qualité. Pourtant, habile, menteur, acteur, le tenancier n’hésite pas à déformer la réalité. Ce café est juste immonde, de l’eau colorée à la saveur détestable. Un café qu’il ose vendre comme un grand cru venant du Brésil, au vu du prix prohibitif, la clientèle habituée, paie sans rechigner.

Oubliant un instant ce café, ses yeux se posent sur une quelconque scène du quotidien. Curieux de nature, il observe et discrètement ouvre un calepin, notant impression et envies diverses. La jeune femme se trouvant une table devant lui, fouille son sac minutieusement. Visiblement irritée, elle expire sans se rendre compte qu’un illustre inconnu l’observe. Déjà, son regard détaille son visage, son bout de charbon grossièrement taillé se dresse, il esquisse rapidement les prémisses d’une œuvre qu’il souhaite percutante. L’ovale apparaît, le reste s’imbrique petit à petit.

La jeune femme oublie son sac, croise son regard, lui sourit, passe sa main dans ses cheveux châtain et réajuste sa position. Les gens n’ont plus aucun secret pour lui, chaque mimique à une signification bien précise. La magie est brisée à jamais, l’Homme n’a presque plus de secret pour lui, tant il est grossier, prévisible dans ses réactions et ses besoins. Dérouté par sa propre réflexion, il décide spontanément de se lever et mettre en place son œuvre, il espère que cette jolie jeune femme sera plus intéressante, intrépide, surtout plus futée et lui donnera satisfaction.

La chaise de pailles tressées est très confortable. Le coussin généreux et crème accueillit volontiers son hôte. La jeune femme semble sceptique face à cette scène amusante. Son regard se déplace vers la droite, visiblement curieuse. Pour ensuite se lever vers le ciel, visiblement dérouté et dérangé par ce genre d’approche grossière.

Lui, habitué par cette réaction et le début d'une nouvelle relation, s'en amuse. Il se tient droit, sourit légèrement, plonge son regard dans ses jolis yeux bleus et ne dit mot.

Elle porte une tenue légère, un peu trop selon lui : pour la saison. Rouge délavé, un petit haut tout à fait agréable à contempler, non sans entrer dans la vulgarité. Ses cheveux sont relevés, châtain, et très bien coiffés. Visiblement une jeune femme qui aime prendre soin d’elle, plutôt sophistiquée. Des chaussures pour la marche, un pantalon qui indique clairement de la convoitise, non sans être désespéré. Alors qu’ils accumulent ces petits détails, la voix de la jeune femme brise sa réflexion. Ne la quittant pas du regard, il se redresse, écarte légèrement les jambes, afin d’apparaître sûr de lui et décontracté.

- Peut-être puis-je vous renseigner Monsieur, je suis navrée. Je regrette, mais je suis incapable de remettre un nom sur votre visage. À qui ai-je honneur ? dit elle d’une voix amicale tout en ponctuant d’un généreux sourire.

- Je suis Auguste, je suis responsable d’un petit magasin dans le centre. Je vous ai remarqué à maintes reprises flânant parmi les produits que je propose.

- Et alors ? Cela vous donne le droit de vous inviter à ma table ? Son sourire s’efface, ses pupilles se dilatent, elle menace.

Il jubile devant une telle réaction, enfin quelqu’un d’intéressant. Il ne peut réprimer un autre sourire, loin de l’indiscrétion.

- Mademoiselle, je ne voulais pas vous importuner, je pense sincèrement que j’aurais eu la même réaction que vous si un parfait inconnu s’invitait à ma table. Je n’aurais pas eu votre patience et même, je lui demanderai au plus vite de quitter la table, menaçant d’appeler la police. Dit-il machinalement avec toute l’assurance et conviction nécessaire.

Visiblement surprise, amusée, intriguée, elle ne répondit pas directement, laissant un blanc envahir le décor. Non sans prévenir, il se leva lentement, réajusta son costume et posa sur la table un bout de papier. Il sourit, porta sa main à sa tête et leva son chapeau en signe d’adieu.

- Navré de vous avoir dérangé, au plaisir Mademoiselle, Mademoiselle ?

- Olga… dit elle sans réagir.

Souriant, il partit et grimpa dans le premier taxi, quittant la ville pour joindre la nature plus clémente.

Le contact du tapis lui était agréable, marchant pied nu, elle se dirigea dans la cuisine afin de trouver de quoi couper sa faim. La porte du frigidaire s’ouvrit sous un rire sincère de sa part. Vide, bien assez pour une semaine, mais non pour assouvir une faim de loup. D’un haussement des épaules, elle attrapa une bouteille de lait, huma son contenu, et porta rapidement ses lèvres affamées au goulot. L’estomac quelque peu rempli, elle posa la bouteille de lait sur la table de salon et prit place dans un canapé qui avait triste mine. Couture usée, coussins qui n’offraient plus cet éternel confort des premiers jours, et surtout, une couleur autrefois crème qui se délavait au fil des années.

Elle se coucha sur le dos noyant son regard sur le plafond avant de légèrement se tourner vers la table basse ou se dressait depuis plus d’une semaine une série de verres qu’il aurait été judicieux de laver. Un magasine quelconque, un stylo, des feuilles, des publicités et enfin une petite carte de visite innocente. Sa main se posa sur la table pour atteindre la télécommande et écouter les informations : un homme venait d’agresser sa compagne, une autre information parlait du vol d’une célèbre bijouterie, enfin, le reste de l’information fut la découverte d’un tombeau dans la gorge d’une célèbre montagne du Texas. La météo fut bien plus positive, du moins, du point de vue de Olga. En effet, celle-ci annonçait une bonne semaine de pluie, de vent, mais un climat des plus agréable. Une honte pour les uns, un bonheur sans nom pour Olga qui ne supportait pas l’astre solaire, bien trop chaud, surtout en période estivale.

La voix stridente de la présentatrice eut raison de sa patience, elle lui coupa rapidement le bec en écrasant avec joie son index sur la commande pour éteindre la télévision. Elle posa la commande et la carte de visite attira à nouveau son attention. Elle s’en saisit, lu l'information, sourit, ses pupilles se dilatèrent et elle se leva. L’ordinateur était encore allumé, il était grand temps d'en faire usage.

Il était 20 h 30 lorsque Rigald quitta le bureau. Une sombre affaire dont il ne parvenait pas à s'extirper. Relisant, calculant à nouveau les comptes d'une bien étrange société ; tout était pourtant en ordre, parfait, clair et parfaitement légal. Quelque chose cependant troublait notre cher ami qui s’arrachait les cheveux sur cette sombre affaire depuis des mois.

Tout était beaucoup trop lisse, propre. Lorsqu'il avait le malheur de poser des questions, de contacter quelque personne que ce soit concernant ladite société, il obtenait le plus souvent une réponse vague, désintéressée, effrayée. D'autres auraient depuis longtemps oublié cette affaire, mais ce n'était pas dans l'éducation, les principes et une bonne brochette de valeurs, que de faire fi de toute cette affaire, aussi tumultueuse et douteuse dont elle pouvait faire l'objet. Elle intéressait par la plus grande évidence notre ami, portant une fois de plus, le chapeau de l'enquêteur d'un soir. Les yeux irrités par la lumière d'un bureau exigu, les paupières lourdes et son café froid, il avait décidé de laisser tomber pour la soirée. Une autre nuit blanche lui aurait été fatale, du moins, c'est ce qu'il s'amusait à penser, admirant dans le miroir de sa salle de bain, au retour à son foyer, un teint macabre, une barbe de trois jours et un regard à effrayer le plus grand toxicomane.

Bayant aux corneilles, il resta ainsi figé devant son propre reflet avant de se faire couler un bon bain. La vapeur envahit ainsi la petite pièce ou il se jeta quelques minutes plus tard dans l'eau chaude du bain, qui lui arracha un râle des plus agréable. Il se laissa glisser davantage dans la baignoire et fixa le plafond, voguant dans de sombres pensées. Les pensées furent chassées par le bruit sourd d'une petite explosion. Habitué, il déduit rapidement son origine : le voisin. Ce brave habitant de la chambre voisine n'avait que de plaisir, l'invitation d'amis des plus grossiers et bruyants. Regardant sans doute le film d'horreur du moment, ils jubilaient et criaient, non sans l'aide courageuse de l'alcool, toute sorte d'insultes et pâles imitations de fausses frayeurs. Rigald frappa violemment son poing sur le mur mitoyen : une perte de temps.

ll se réveilla quelque instant plus tard, réalisant qu'il venait de tomber de fatigue dans son propre bain qui était à présent froid. Alors qu'il passait un vêtement sur sa nudité, il entendit le vase du salon se briser sur le sol. Alors qu'il se saisit de son arme de service, il éteignit la lumière, se plongeant dans les ténèbres. Des pas de chats se déplacèrent dans son salon. Une chaussure brisa les derniers morceaux qui autrefois, constituaient un magnifique vase. Alors qu'il se rapprochait de la porte de la salle de bain pour tenter d'apercevoir ces inconnus. Celle-ci grinça et s'ouvrit violemment, surpri, il lâcha son arme. Deux ombres se glissèrent par la porte.